Sous l’effet de la mondialisation, les chaines alimentaires sont devenues de plus en plus longues, de plus en plus complexes et de moins en moins connectées aux territoires. Pour Pablo Servigne[1], ingénieur agronome et docteur en biologie, le système alimentaire industriel se caractérise par son efficacité mais surtout par sa plus grande vulnérabilité. La spécialisation des territoires en un nombre réduit de cultures et la gestion en flux tendus des denrées alimentaires ont conduit à une moindre résilience globale du système agricole. Si bien qu’aujourd’hui, la plupart des villes ne disposent que de quelques jours d’autonomie alimentaire en cas de chocs environnementaux, économiques ou financiers.
Pour atténuer ce facteur de vulnérabilité et repenser notre modèle de production alimentaire, de nombreux mouvements ont émergé ces dernières années : création des associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), développement des circuits courts ou encore renouveau de l’agriculture en milieu urbain. Les initiatives d’agriculture urbaine et périurbaine semblent en plein essor. Leur objectif ? Reconnecter les urbains à leur territoire.
- 800 millions : c’est le nombre de personnes impliquées, à l’échelle mondiale, dans l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) selon les estimations de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture[2]. L’AUP se réfère aux pratiques agricoles dans et à proximité immédiate des villes qui utilisent des ressources (terre, eau, énergie) pouvant servir à d’autres usages nécessaires aux besoins de la population urbaine. Si les récoltes servent majoritairement à satisfaire la consommation des ménages, quelque 200 millions de citadins feraient encore de la production marchande.
- 73 hectares : c’est la surface d’initiatives d’agriculture urbaine en Ile-de-France. Les jardins familiaux ou ouvriers (50% de la surface totale cultivée) ainsi que les jardins d’insertion (20%) sont les démarches les plus développées dans la région francilienne. Ces initiatives ont davantage une vocation sociale ou de substitut alimentaire qu’une fonction productive. A l’heure d’aujourd’hui, les espaces productifs marchands ne représentent que 3,7 hectares, soit 5% de la surface cultivée. Ce dernier point résume le défi majeur de l’agriculture productive en milieu urbain : trouver un modèle économique viable.
Recensées par l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France Natureparif[3], à travers l’Observatoire de l’agriculture urbaine, ces données chiffrées traduisent une réelle dynamique dans une région marquée par une faible autonomie alimentaire.
L’Ile-de-France n’est autonome qu’à hauteur de 10% pour les légumes frais, de 1,5% pour les fruits, de 12% pour les œufs ou encore de 1% pour le lait. A l’échelle régionale, l’autonomie alimentaire n’est atteinte que pour le blé (159%) et le sucre (117%).
- 33 hectares : c’est la surface que la ville de Paris souhaite dévolue à l’agriculture urbaine d’ici 2020. Cette ambition se révèle à travers l’élaboration d’une charte pour végétaliser la capitale. Les enjeux sont multiples : lutter contre les phénomènes d’îlots de chaleur, créer des conditions favorables à la biodiversité et permettre le développement d’une agriculture d’hyper-proximité. Des partenaires tant publics que privés se mobilisent. L’entreprise TOPAGER incarne cette dynamique, elle qui intervient à la fois pour des entreprises privées (groupe ACCOR, GTM Bâtiment…) et des structures publiques.
- 2 000 personnes : nombre d’habitants approvisionnés par la serre urbaine commerciale Lufa. D’une superficie de 2 880 m2, cette dernière dernière est implantée à Montréal sur le toit d’un bâtiment commercial et produit chaque année 70 tonnes de denrées alimentaires. Face au succès, Lufa Farms a développé une seconde serre urbaine à Laval (Québec). Ce modèle de production agricole hors-sol à grande échelle pourrait voir le jour à Romainville d’ici 2018 dans une tour maraîchère.
- 1 500 : nombre de fermes et de jardins urbains à Détroit. Cette ville marquée par le déclin économique, avec le départ des industries automobiles, et démographique, avec la perte d’un million d’habitants entre 1950 et aujourd’hui, trouve son renouveau avec le développement de l’agriculture urbaine. 16 000 personnes se retrouvent impliquées dans le mouvement pour la justice alimentaire et participent à la reconquête de centaines d’hectares vacants en plein cœur de Détroit.
- 50 kg par m2 et par an : quantité de produits frais horticoles (légumes, fruits) qu’il est possible de produire en milieu urbain selon le rapport « Agriculture urbaine et périurbaine » de la FAO. Contrairement aux idées reçues, l’agriculture urbaine n’est pas incompatible avec une certaine productivité. Ainsi, au Japon, l’agriculture urbaine est « plus productive que son homologue rurale en ce qui concerne la valeur économique par superficie (3% au dessus de la moyenne japonaise) »[4] pour la chercheuse Raquel Moreno-Peneranda.
Friches, délaissés urbains, dents creuses, toits, façades… les marges de manœuvre de l’agriculture urbaine et périurbaine sont immenses. Pourtant, il serait illusoire de vouloir rendre, à court terme, totalement autonomes alimentairement nos villes. A travers l’agriculture urbaine, l’enjeu est davantage de réinventer nos modèles de production agricole et de conception urbaine. De comprendre que les lieux de production ne peuvent pas être toujours plus éloignés des lieux de consommation. De réaffirmer que les villes ne peuvent pas s’étaler indéfiniment en évinçant les terres agricoles. C’est une nouvelle relation d’interdépendance et de proximité entre territoires urbains et territoires agricoles qu’il faut penser.
Les initiatives d’agriculture dans les espaces urbanisés redonnent de la vie et du sens aux lieux qui en manquent parfois cruellement. Elles ont une fonction sociale, environnementale, pédagogique, nourricière et quelquefois économique. Et si le but de ces initiatives était de faire émerger un système alimentaire et urbain plus résilient ?
Etude réalisé par Benjamin TAVEAU
[1] Pablo Servigne, Nourrir l’Europe en temps de crise. Vers des systèmes alimentaires résilients, Nature et progrès, 2014.
[2] Rapport agriculture urbaine et périurbaine, 15ème session du Comité de l’Agriculture (COAG) de la FAO, http://www.fao.org/ag/fr/magazine/9901sp2.htm
[3] http://www.natureparif.fr. A lire également, l’ouvrage collectif Agriculture urbaine. Vers une réconciliation ville-nature, Le Passager clandestin, 2015.
[4] Raquel Moreno-Peneranda & Michel Huneault, Agriculture urbaine et paysages ruraux : contrastes et leçons du Japon, Nouveau Projet 02, 2012.